For the loser now
Will be later to win
For the times they are a changin’
Bob Dylan
Quadra fringuant, dynamique et ambitieux dans le secteur des produits pharmaceutiques, Pierre déjeune avec son patron américain. Celui-ci lui annonce qu’il ne le nommera pas D.G. de la filiale. Il lui explique sa décision en lui disant : « Ton principal point faible, c’est que tu n’as jamais connu l’échec ».
Pierre ne comprend pas. Il revient chez lui le soir avec la ferme intention de donner sa démission. Il ne démissionnera pas et travaillera encore plus pour prouver à son patron que c’est lui le meilleur.
Un préjugé tenace
Pierre est un pur produit de la culture française du TSE : Tout Sauf l’Echec ! Ses parents, l’école, la prépa lui ont appris à bosser dur et à éviter les mauvaises notes comme la peste. Par la suite, l’entreprise l’a parfaitement initié à la stratégie « ceinture et bretelles », c’est à dire à la prise de risque minimale en toutes circonstances.
Car en France, échouer est mal perçu. Nous y voyons une faiblesse, une faute, et non un gage d’audace et d’expérience.
La norme hexagonale est de surtout ne jamais se planter. Et si l’on se crashe, le réflexe est de dissimuler, le plus vite possible, l’encombrant ratage sous le tapis d’une feinte réussite.
Pourtant, les succès viennent rarement sans accroc. Les parcours de Winston Churchill, Charles Dyson, Richard Branson, et Steve Jobs et plein d’autres célébrités, sont parsemés d’échecs. Mais, heureusement pour eux, la réussite finale a éclipsé leurs mauvaises années.
Des robots formatés à ne surtout pas se planter
Notre système scolaire, universitaire et de grandes écoles génère des légions de bons élèves qui rejoignent la vie professionnelle et progressent à vitesse variable au sein des entreprises. Ces produits parfaits appliquent sagement les règles prescrites et suivent la norme établie. Ils ne savent pas précisément ce qu’est un échec et n’envisagent même pas l’hypothèse d’y être confronté. Souvent, ces individus n’ont pas le sens du rebond et la réactivité nécessaire et décisive dans un monde en mutation de plus en plus rapide. Le Système, parfaitement huilé et rodé, produit des gestionnaires prudents et soucieux de maintenir le statu quo. Il n’encourage pas assez les preneurs de risques, les initiateurs, les innovateurs, les disrupteurs et les défricheurs.
Charles Pépin dans son livre « Les vertus de l’échec » évoque la philosophie « fast fail » anglo-saxonne qui considère que les plantages précoces constituent la base d’une réussite sur le long terme. Son expérience de professeur l’a convaincu qu’il est plus qu’urgent de changer les mentalités et d’instaurer une nouvelle façon de regarder l’échec à l’école et dans la vie professionnelle. Il déplore également la toute-puissance très française du diplôme encore majoritairement considéré comme une vaccination à vie contre l’échec. Mon expérience d’outplaceur me démontre quotidiennement le contraire : si le diplôme représente un indiscutable avantage au départ, il ne constitue en aucune façon la garantie du succès d’une carrière professionnelle.
Avoir raté ne veut pas dire être un raté
L’acceptation de l’échec est une idée qui fait doucement son chemin dans le monde du recrutement hexagonal. Mais la route est encore longue. Dans le monde des startups, par exemple, l’échec constitue souvent un passage obligé pour atteindre le succès. Jean-Baptiste Rudelle, le co-fondateur de Critéo, dans son livre « On m’avait dit que c’était impossible », raconte ainsi comment il a échoué plusieurs fois avant de réussir de façon spectaculaire.
Les recruteurs, eux-mêmes perçus comme les plus ardents défenseurs du TSE, commencent à mieux considérer les candidats ayant connu l’échec et capables d’apprendre de leurs erreurs. Car, pour ces chasseurs de talents, les sorties de piste sont désormais plus synonymes de carton rouge.
En France, l’échec est un sujet qu’on évite d’aborder en public. Il faudrait s’inspirer des Etats-Unis et du Royaume-Uni où ce tabou est levé. Il faudrait organiser des « foires de l’échec » pour les candidats comme il en existe pour les entrepreneurs. Il s’agit de rencontres où les participants peuvent relater sans complexes leurs échecs et profiter du débat qui s’instaure pour acquérir les meilleures pratiques et stimuler des idées de rebond grâce au partage d’expériences.
Le loser n’est donc pas condamné à l’échec à vie
Il faut savoir qu’il y a une quinzaine d’années, les chasseurs de têtes refusaient de présenter à leurs clients des candidats hors poste ! Heureusement, cette pratique discriminatoire a disparu au fil du temps, preuve si l’en est que les mentalités évoluent lentement mais surement.
Les recruteurs ont également intégré le fait que les cadres trop habitués à évoluer dans leur zone de confort ont souvent du mal à relever des défis. Le succès facile ne les a pas habitués à faire face aux nouvelles réalités du monde du travail.
Or le fait d’avoir connu l’échec, d’en avoir tiré des leçons et d’avoir su s’en relever, représente une excellente garantie de faire face aux difficultés. Ainsi, si perdre son job est le plus souvent assimilé à un échec, retrouver un bon poste constitue la meilleure preuve de la capacité à rebondir. Car, aujourd’hui, la recherche d’un nouveau job dans un marché de l’emploi français gluant, exige un haut niveau d’énergie, un grand professionnalisme et une persévérance à toute épreuve.
Le pouvoir du contexte
Dans son best-seller « Le point de bascule », le journaliste Malcolm Gladwell explique parfaitement que le même individu peut très bien réussir dans un écosystème donné et se planter dans un écosystème différent. Il appelle cela le pouvoir du contexte. On a tous connu ce cadre confirmé que tout le monde considérait comme un loser, un gros nul, un incompétent notoire que l’on a retrouvé quelques années plus tard au sommet du succès…dans une autre entreprise ! Et on ne comprenait pas comment il avait fait. Le pouvoir du contexte constitue l’explication. Ce concept permet de relativiser l’échec et ne plus regarder celui qui s’est planté comme un pauvre raté condamné à éternellement rater. Simplement parce que les circonstances sont souvent plus importantes que la personne pour expliquer un ratage… ou un succès.
Il est donc essentiel, pour tout candidat à un nouveau poste, de bien connaître ses scénarios de réussite et d’échec. Ainsi un cerveau brillant, mais peu sûr de lui, s’épanouira avec un patron bienveillant, au sein d’une entreprise aidante ; alors qu’un cadre aimant l’action sera beaucoup plus stimulé par un boss réputé difficile et contexte de business complexe et exigeant.
Savoir parler de ses échecs
Pour le candidat en recherche d’emploi, il est donc fondamental d’apprendre à parler de ses échecs. Il ne faut pas que la question classique du recruteur « Avez-vous connu des échecs ? » devienne un piège du simple fait qu’elle n’a pas été préparée. Aujourd’hui, la plus mauvaise réponse à cette question est d’affirmer que l’on n’a jamais connu de ratages dans sa carrière professionnelle. Tous les cadres expérimentés ont vécu, un jour ou l’autre, un plantage. L’essentiel est de savoir le raconter avec talent et de démontrer en quoi cet événement a constitué une éclairante leçon pour la suite du parcours. Si la narration de ce story-telling doit être préparé avec un soin extrême, le ton et l’attitude de la personne qui raconte un échec constituent un critère tout aussi important pour convaincre le recruteur qui a posé cette banale question.
En guise de conclusion
En définitive, on l’aura compris : s’il est préférable d’échouer avant de réussir, il est essentiel d’assumer ses échecs, d’en avoir tiré les bonnes leçons et de savoir en parler de façon positive.
Nelson Mandela résume cela en quelques mots simples : « Je ne perds jamais. Soit je gagne. Soit j’apprends ».